Aujourd’hui, je vous présente Hélène Queguiner, 38 ans et petite d'1m54, DJ au Japon. Hélène est une passionnée qui met tout en œuvre pour partager ses convictions et réaliser ses projets.
C'est ça qui parfois peut-être compliqué, c'est trouver l'équilibre entre son identité, ce que je souhaite partager, mes goûts et ce que l'auditoire attend de ma performance. Il faut trouver le juste milieu qui sublime une soirée en quelque sorte.
Peux-tu commencer par te présenter ?
Bonjour, moi c'est Hélène ! Je suis commerciale chez un fabricant de cosmétiques à Tokyo le jour et DJ la nuit. De nature assez timide, j'aime pourtant sortir de ma zone de confort en découvrant sans cesse de nouvelles choses.
Passionnée par l'Asie depuis toujours, je vis maintenant au Japon et j'ai du mal à m'imaginer ailleurs, pour l'instant. Touche à tout, j'ai toujours plein de projets en tête et j'essaie de me donner les moyens de les réaliser. Même si parfois, tout ne marche pas comme je l'aurais espéré, je suis fière d'essayer !
La musique est un nouveau tournant de ma vie qui m'aide comme une thérapie. J'essaie d'apporter du réconfort lorsque je mixe et rien ne me fait plus plaisir que de réussir à toucher le public avec les musiques que j'ai soigneusement choisies.
Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ?
J'ai commencé par un an de classe préparatoire aux grandes écoles (MPSI) mais ça ne m'a pas plu. J'ai donc intégré l'INSA à Lyon, une école d'ingénieur post bac avec prépa intégrée. C'était bien plus sympa et je me suis beaucoup plus amusée !
Après l'école, j'ai déménagé à Londres. Là-bas, j'ai travaillé chez Procter et Gamble dans la division Luxe. J'étais chef de projet packaging et j'étais chargée de la coordination entre nos fournisseurs et nos équipes marketing afin de réaliser leurs demandes, parfois, complexes techniquement.
Finalement, au bout de 8 ans, j'ai déménagé au Japon pour concrétiser mon rêve de vivre en Asie.
Comment t'es venue cette passion pour l'Asie ?
J'ai découvert ma passion pour l'Asie un peu par hasard, j'ai eu la chance d'être dans un collège/lycée qui proposait le chinois en LV3 et j'ai pu découvrir cette langue passionnante et mystérieuse. Ce qui m'a beaucoup plu à la base, c'est la littérature chinoise comme "Triste Vie" de Chi Li ou encore "Baguettes chinoises" de Xinran. Ce sont des histoires de la vie quotidienne en Chine qui posent un regard simple, mais vrai sur la dure réalité de la vie.
J'ai aussi fait un peu d'initiation au Japonais en école d'ingénieur, mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, même si je fais partie de la génération des années 80, je n'étais pas fan des animés japonais. Je détestais même Dragon Ball Z ! J'ai redécouvert les mangas et animés et bien plus tard au lycée cette fois ça m'a beaucoup plu. Mais, c'est toujours plutôt le côté traditionnel du Japon qui m'a attiré avec les kimonos, l'artisanat etc.
Pourquoi avoir quitté Londres ?
J'ai beaucoup aimé vivre à Londres, je trouve que l'accès à la culture là-bas est extraordinaire. Ça a peut-être évolué depuis le Brexit, mais il y avait de supers concerts pour pas cher, les théâtres étaient à prix abordables et il y avait parfois des expositions gratuites. J'aimais aussi la mentalité au travail, les managers étaient plus dans une approche de coaching qu'à donner des ordres et à micro manager. J'ai trouvé que c'était une manière de faire qui me convenait très bien, car je suis très autonome.
Et puis, ça faisait depuis un moment que je me disais que si je ne bougeais pas maintenant, je ne bougerais jamais. Et même si je me plaisais à Londres, mon idée depuis longtemps, c'était de vivre en Asie. Pour être honnête, la météo grisonnante et le rachat de ma société sont les deux gros facteurs qui m'ont poussée à changer de vie.
Au départ, je voulais aller en Chine, mais le contexte politique m'a freinée dans cette envie. J'ai choisi le Japon, car je l'avais visité quelques années auparavant et j'avais aimé l'ambiance un peu mystérieuse. Il me restait encore plein de choses à y découvrir !
Comment s'est passée ton adaptation au Japon ?
C'est assez compliqué de trouver du travail au Japon à distance, alors j'ai décidé d'étudier le japonais pendant un an et voir en parallèle, si j'allais m'y plaire.
J'ai eu de la chance, je pense, car j'habitais dans un quartier populaire fréquenté par une population assez âgée. Comme je me suis toujours beaucoup intéressée au côtés traditionnel du Japon, j'avais très envie de participer au festival "Matsuri" qui a généralement lieu l'été. Je suis tombée sur une affiche qui annonçait les festivités et je me suis pointée avec mon japonais médiocre pour y participer. Au début, on m'a regardée étrangement, mais on m'a ensuite très vite présentée à un vieux monsieur qui souhaitait apprendre l'anglais et être au contact d'étrangers, car il était volontaire pour les JO.
Grâce à lui et à la gentillesse des organisateurs, j'ai pu participer à ce festival et j'ai découvert un événement très familial. Nous partagions une passion commune avec ce vieil homme, la photographie, et j'ai gardé contact avec lui après le festival. Il m'a en quelque sorte prise sous son aile et je le considère comme mon papy Japonais. Grâce à lui et à d'autres personnes que j'ai rencontrées au fil des années, j'ai trouvé une communauté où je me sens chez moi. Je pense que mon envie de découvrir, d'aller vers les autres m'a beaucoup aidée et j'ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes.
J'ai une personnalité un peu plus introvertie et parfois en Europe, je me sens comme "écrasée", mais ici, je me sens bien. C'est plus facile pour moi de m'épanouir et je me fiche du jugement des autres.
Avant de te lancer en tant que DJ, quels sont les autres projets que tu as eus ?
En arrivant et pendant un an, je suivais des cours de langue le matin et l'après-midi et pendant mon temps libre, je testais différentes idées. J'étais arrivée à une période de ma vie où j'ai commencé à remettre en question mon mode de consommation : je cherchais à avoir une démarche plus responsable dans mon quotidien.
J'ai commencé par lancer un podcast sur le voyage responsable "Voyageurs de demain", mais même si le sujet me passionnait, je me suis rendue compte que ça allait être difficile pour moi de pouvoir vivre de cette activité.
J'ai donc enchaîné avec des ateliers pour accompagner les étrangers qui s'installent au Japon vers un mode de vie plus éco-responsable mais la Covid a fait évoluer mes plans. J'ai profité de cette pause pour créer une communauté autour de la transition écologique grâce à des webinars et j'ai ensuite co-fondé Ekolokal avec une amie japonaise.
La mission d'Ekolocal était d'aider les Japonais et les étrangers vivant au Japon à identifier les commerçants ayant une démarche plus responsable. Nous avions une éco-map en ligne et nous organisions des événements autours de ces thématiques. Cette aventure nous a même amené à ouvrir notre tiers lieu (un café vegan et communautaire). Malheureusement, c’était compliqué de survivre financièrement et on a dû fermer. Je pense que l’on était un peu en avance, car c'est un sujet encore très niche au Japon.
J’ai énormément appris sur moi grâce à ces différentes aventures et j'ai bien plus évolué en 5 ans au Japon, qu'en 8 ans à Londres.
Et pourquoi la musique dans tout ça alors ?
J'ai fait une retraite au Mexique et la musique a été essentielle dans le voyage spirituel que j'y ai entrepris. Elle m'a aidée à me libérer de certaines choses. De retour de ce voyage, j'ai eu comme un déclic et j'ai continué à utiliser la musique au quotidien pour transformer les émotions négatives et traverser des périodes compliquées.
Comment as-tu commencé à mixer ?
J'ai commencé par moi-même, en autodidacte, à "bidouiller" sur mon ordinateur avec un petit contrôleur et en suivant des tutos YouTube. Un gentil DJ a aussi passé deux heures à me montrer les bases. Niveau technique, je ne suis pas très forte parce que je n'ai jamais vraiment pris de cours et il faudrait probablement que j'y songe. J'ai vraiment commencé à mixer lors d'événements que l'on organisait dans notre café.
À côté de ça, j'avais repéré une très chouette communauté à Tokyo - Berlin Party - qui organise des sessions open DJ tous les jeudis avant que les groupes ne jouent, c'est super pour apprendre à mixer en public et s’améliorer sans pression. Me fixer des petits objectifs comme celui-ci m'a poussée à pratiquer et à m'améliorer. La communauté musicale de Tokyo est très bienveillante je trouve et en allant à des événements musicaux pour découvrir et soutenir d'autres DJ, cela permet de rencontrer des organisateurs d'événements et de mixer dans de nouveaux lieux.
Donc pour le moment, mixer est plutôt un loisir ?
Oui tout à fait, je ne me considère pas encore comme une professionnelle, mais comme une amatrice. Car même si je suis un peu rémunérée lors de certaines de mes prestations, cela reste pour le moment un hobby plus qu'un métier. Je ne sais pas si j'arriverai à en vivre un jour, surtout si j'ai une vie de famille. C'est pour ça qu'en ce moment, j'en profite à fond !
Récemment, après mes aventures entrepreneuriales, j'ai retrouvé un travail dans une entreprise japonaise dans l’industrie de la beauté au Japon; cela me permet de retrouver une stabilité financière et de pouvoir explorer différentes idées et passions sans stress. Heureusement, je suis tombée sur une bonne entreprise et je me suis intégrée assez facilement, même si ce n’est pas toujours évident de bien me faire comprendre en japonais.
Comment fais-tu pour allier ton travail et ta passion ?
Je ne suis pas une très grande "fêtarde" et je ne bois pas beaucoup. C'est vrai que je ne suis pas le profil un peu cliché que l'on peut avoir du milieu de la nuit. Je mixe avant tout pour partager la musique et la plupart du temps, les soirées en semaine ne finissent pas très tard. Je peux donc facilement m'y rendre après le travail et ne pas trop manquer de sommeil. Pour l'instant le week-end, je fais beaucoup de premières parties en début de soirée, mais j'aimerais justement aussi développer mon réseau pour mixer dans d'autres lieux ou événements. À terme, j'aurai peut-être des horaires plus difficiles par rapport à mon rythme de vie. Si je veux vraiment me faire connaître, je n'aurai pas le choix, mais pour le moment, je n'y suis pas encore !
Que veut dire ton nom de scène ?
Mon nom de scène, c'est Kotatsu. En japonais, c'est une table basse chauffante. L'hiver, tu rajoutes une couverture et avec le chauffage intégré sous la table, c'est un endroit de la maison chaleureux et réconfortant. J'ai choisi ce nom, car l'une des premières fois où j'ai mixé, c'était devant mes colocs sur le kotatsu. Nous avions beaucoup plaisanté sur cette mise en scène et c'est comme ça qu'est venu mon nom de DJ "Kotatsu". J'ai décidé de le garder parce que je trouve aussi qu'il représente bien ce que je veux partager quand je mixe. Cette idée de "réchauffer les cœurs".
Qu'est-ce que tu aimes le plus quand tu mixes ?
Ce qui me fait plaisir, c'est lorsque l'audience résonne avec ce que je mixe. Quand les gens viennent me voir après mon set pour me dire qu'ils ont aimé ce que j'ai passé ou alors quand je les vois danser. Je me dis que j'ai réussi à les toucher et à transmettre les émotions que je voulais. C'est ça qui parfois peut-être compliqué : trouver l'équilibre entre mon identité, ce que je souhaite partager, mes goûts et ce que l'auditoire attend de ma performance. Il faut trouver le juste milieu qui sublime une soirée en quelque sorte. Ce que j'aime vraiment, c'est dénicher des perles rares et emmener mon audience avec moi dans un voyage musical.
Pour finir, quelques questions pour mieux te connaître :
Des musiques à nous recommander ?
J'ai découvert récemment une artiste japonaise, elle est fantastique. Elle s'appelle Juterus et sur des rythmes techno, elle nous fait voyager avec sa voix envoûtante, c'est vraiment beau. J'aime beaucoup aussi Betoko et Yuksek. Pour finir, j'adore Polo & Pan.
Ton passe-temps du dimanche ?
Depuis quelque mois, je vais faire du Taiko, c'est l'art de jouer des tambours japonais que l'on voit souvent en festival justement ! Je reste dans la musique...
Cite moi 3 objets qui t'accompagnent au quotidien ?
Mon portable, c'est sûr ! Un livre, même si je lis moins qu'à une époque (la faute à mon portable), j'ai toujours ce réflexe. Plus récemment, une amie m'a offert un baume qui sent les épices et qui a des effets relaxants, souvenir de son voyage en Thaïlande. Depuis, il ne me quitte plus.
Des coins de Tokyo à recommander à nos "petites" touristes ?
J'aime beaucoup les quartiers traditionnels et je recommande vivement ceux de Yanaka et Nezu. Juste prendre le temps de s'y balader pour découvrir la vie tokyoïte plus traditionelle. Nezu possède aussi un très beau sanctuaire du nom de Nezu-Jinja.
Ton dernier coup de cœur ?
J'ai deux amies qui font des créations que j'adore.
L'une fait des sacs bananes à partir de kimonos japonais qu'elle upcycle, ça s'appelle
Mikan Bags. Et mon autre copine, a monté récemment
Ichigo ichie, une marque où elle confectionne des sacs à partir d'anciens tabliers de cuisine japonais.
Je conseille aussi le podcast de mon amie Stéphanie,
Zero to One qui parle de la première année après l'accouchement. Je trouve que c'est très rassurant et plein de bons conseils si certaines songent à être mamans ou le sont déjà depuis peu.
3 conseils pour les petites qui aimeraient tout plaquer et changer de vie ?
- Quelque chose que je n'ai pas vraiment fait, mais il vaut mieux se préparer financièrement. Il est préférable d'avoir un plan pour reconstruire sa vie là-bas et réfléchir à son projet avant de se lancer. Il ne faut surtout pas se reposer sur quelqu'un et garder sa liberté financière.
- C'est très important aussi de s'entourer, il faut aller à la rencontre des autres, aller à des événements et se recréer son village. Si je n'avais pas fait l'effort de sortir et participer à des rassemblements communautaires, je ne me serais jamais sentie aussi bien acceptée au Japon.
- Mon dernier conseil, c'est de foncer. Juste vas-y ! Même si au final, ça ne marche pas, tant pis, au moins tu auras essayé et tu n'auras pas de regret. Même si tu fais des erreurs, que tu n’es pas très bien préparée, au final c’est pas grave, si tu es débrouillarde tu pourras toujours retomber sur tes pattes. On trouve toujours de quoi s'en sortir. Alors vas-y !
Merci beaucoup Hélène !